En cas de manquement au titre de son activité de classification de navire, une société de droit privé peut-elle bénéficier de l’immunité de juridiction de l’État ?
05/2019
Cour de cassation, ch. civ. 1e, 17 avril 2019, Pourvoi n° 17-18.286 (rejet)
[Cour d’Appel de Bordeaux, ch. civ. 1e, 6 mars 2017, État français c/ Société American Bureau of Shipping, Société ABSG Consulting Inc., Société ABS Group of Compagnies, RG 10/02421 ; Tribunal de Grande Instance de Bordeaux, ch. 6e, 19 mars 2014, RG 14/02185].
Une société de droit privé ne peut bénéficier de l’immunité de juridiction de l’État au titre de son activité de classification, et peut donc voir sa responsabilité mise en cause en raison des manquements commis dans l’exécution des obligations auxquelles elle est tenue par la convention conclue avec le propriétaire du navire.
Celle-ci peut par contre se prévaloir de l’immunité de juridiction au titre de l’activité de certification exercée au nom de l’État.
La question s’est posée dans le cadre de l’affaire médiatisée du navire-citerne « Le Prestige » battant pavillon de l’État des Bahamas, dont une partie du chargement en hydrocarbures a été rejetée en mer lors de son remorquage au large des côtes espagnoles, provoquant une pollution dans la mer territoriale et la zone économique françaises.
Cette affaire soulevait des problématiques de droit international privé, dès lors que le navire a subi une avarie dans les eaux d’un premier État (Espagne) entraînant une pollution dans celles d’un deuxième État (France), et que la société de classification et de certification du navire d’un troisième État (États-Unis) est intervenue au nom d’un quatrième État (Bahamas).
L’État français ne remettait pas en cause l’immunité de juridiction des États étrangers, dans son principe, mais critiquait son détournement par la société.
Selon lui, les fautes dont il souhaitait se prévaloir ne relevaient pas de l’activité de certification exercée au nom de l’État des Bahamas, couverte par l’immunité de juridiction.
Il soutenait qu’elles relevaient de la seule activité de classification d’ABS dans le cadre de contrats privés conclus avec le propriétaire du navire, et donc d’une relation commerciale étrangère à l’État du Bahamas.
La Cour d’appel a infirmé le jugement de première instance et constaté qu’ABS ne pouvait se prévaloir de l’immunité de juridiction, retenant que l’État français se prévalait des seuls manquements aux obligations découlant de la convention conclue entre ABS et le propriétaire du « Prestige ».
Approuvant la Cour d’Appel, l’arrêt de la Cour de cassation retient l’attention pour son attendu de principe :
« Mais attendu que les activités de certification et de classification, qui relèvent de régimes juridiques différents, sont dissociables et que seule la première autorise une société de droit privé à se prévaloir de l’immunité juridictionnelle de l’État du pavillon qui l’a spécialement habilitée à délivrer, en son nom, au propriétaire d’un navire, la certification statutaire. »
Dans la droite ligne de sa jurisprudence en matière d’immunité de juridiction, la Cour de cassation distingue selon que l’acte donnant lieu au litige, par sa nature, participe ou ne participe pas à l’exercice de la souveraineté de l’État.