Monaco et l’échange de renseignements en matière fiscale
04.2015
L’échange de renseignements en matière de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales vise à élucider les affaires fiscales (pénales ou non) d’un seul contribuable ou d’un groupe de contribuables. Cette forme d’assistance administrative internationale jusqu’à présent essentiellement pratiquée avec la France, est en plein essor, le réseau conventionnel de la Principauté s’élargissant à ses autres partenaires pertinents tels le Royaume-Uni et l’Italie en 2015. A l’exception du pays voisin avec lequel l’échange d’informations fiscales peut s’opérer d’office, les conventions et accords bilatéraux conclus depuis 2009 par Monaco s’appliquent à l’échange de renseignements sur demande et aux contrôles fiscaux à l’étranger. La mise en œuvre à partir de 2018 de la nouvelle Norme d’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale, mise au point en 2014 par l’OCDE et le G20, est la prochaine étape pour la Principauté.
1. Le cadre juridique monégasque
L’échange de renseignements en matière fiscale est la forme la plus courante[1] d’assistance administrative internationale (coopération transfrontière entre administrations). Les conventions et accords internationaux[2] en vigueur en Principauté et les dispositions internes d’application permettent l’échange de renseignements à des fins fiscales (civiles ou pénales), concernant toute personne physique ou morale. Le réseau conventionnel développé depuis 2009 n’inclut pas encore tous les partenaires économiquement pertinents.
1.1. Le cadre bilatéral
La Convention fiscale signée à Paris le 18/05/1963 avec la France[3] est la première du réseau conventionnel de Monaco, lequel s’est développé à partir de 2009[4] sur le fondement des principes directeurs du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales de l’OCDE[5].
Le réseau bilatéral de la Principauté couvre des membres de l’UE, de l’Espace Économique Européen, de l’OCDE et du Forum mondial, mais doit encore être mis à niveau pour atteindre la pleine conformité avec le standard international. Celui-ci doit intégrer « tous les partenaires pertinents », significatifs sur le plan économique.
Complété début 2015 par la signature de deux accords, avec le Royaume-Uni (28/01) et l’Italie (02/03), celui-ci compte 32 instruments bilatéraux [état 04/2015] :
• 24 accords relatifs à l’échange de renseignements en matière fiscale (TIEA[6]) en vigueur avec 19 États (Allemagne, Andorre, Argentine, Australie, Autriche, Bahamas, Danemark, États-Unis, Féroé, Finlande, Groenland, Inde, Islande, Liechtenstein, Norvège, Pays-Bas, Saint Marin, Samoa, Suède)[7] ;
• 8 conventions fiscales bilatérales tendant à éviter les doubles impositions et à prévenir l’évasion ou la fraude fiscale (DTC[8]) incluant une clause d’échange de renseignements, en vigueur avec 6 États (France, Luxembourg, Maurice, Qatar, Saint-Kitts-Et-Nevis, Seychelles)[9].
Le réseau est en voie d’extension notamment avec Brunei, Chypre, l’Espagne, Malte, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Pologne, la République slovaque (TIEAs), les Émirats Arabes Unis, le Kenya, le Monténégro et le Vietnam (accords comportant un mécanisme d’échanges de renseignements)[10].
Les TIEA prévoient uniquement l’échange de renseignements sur demande[11] et les contrôles fiscaux à l’étranger[12] (pour l’administration et l’application de la législation interne relative aux impôts visés par l’Accord), alors que les DTC en principe[13] ne circonscrivent pas l’échange de renseignements à un mécanisme particulier (pour appliquer la Convention ou la législation interne des États contractants relatives aux impôts de toute nature ou dénomination perçus dans ces États, même si aucun article particulier de la Convention n’est en cause).
Monaco peut également échanger des renseignements avec des juridictions européennes en vertu du Règlement (UE) du Conseil n°904/2010 du 07/10/2010 (coopération administrative et lutte contre la fraude dans le domaine de la TVA, via la France), et dans le cadre de l’Accord avec la Communauté Européenne du 07/12/2004 rendu exécutoire par l’Ordonnance n° 100 du 20/06/2005 (fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts)[14].
1.2. Le cadre multilatéral
La Principauté a par ailleurs signé le 13/10/2014 la Convention multilatérale concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale (STE n° 127) telle qu’amendée par le Protocole de 2010 (STE n° 208) conjointement élaborée par le Conseil de l’Europe et l’OCDE (qui sera applicable après ratification).
La Convention couvre toutes les formes possibles d’assistance administrative pour toute affaire fiscale (civile ou pénale), mais impose uniquement l’échange de renseignements sur demande et spontané (la formulation de réserves permettant d’exclure l’échange automatique, les contrôles fiscaux simultanés et à l’étranger). Une fois ratifiée, la Convention multilatérale pourra couvrir les États parties avec lesquels Monaco n’a pas conclu de conventions ou accords bilatéraux[15].
Enfin, lors du Forum mondial de Berlin des 28-29/10/2014, la Principauté s’est engagée à mettre en œuvre à partir de 2018 la nouvelle Norme d’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers en matière fiscale, approuvée par le Conseil de l’OCDE le 15/07/2014 (Automatic Exchange of Information – AEOI)[16].
A cet effet, les autorités monégasques devront adapter le dispositif interne, en transcrivant les procédures de diligence raisonnable à suivre par les institutions financières à Monaco pour identifier les comptes déclarables des personnes physiques et entités (fiducies et fondations incluses), ainsi que leurs obligations déclaratives.
Le réseau conventionnel devra parallèlement être mis à jour avec tous les partenaires pertinents, l’échange automatique sur une base annuelle nécessitant un accord préliminaire sur la nature des renseignements transmis et sur la procédure à adopter[17]. Du point de vue technique, un format normalisé devra être mis en place afin de sécuriser la transmission des données.
1.3. Le cadre interne
Le cadre légal et réglementaire a été remodelé pour assurer la disponibilité des renseignements concernant les personnes physiques et morales établies en Principauté.
De nombreux renseignements en matière de propriété de sociétés de capitaux et de sociétés de personnes sont détenus par les autorités administratives[18] par le biais du système particulier à Monaco d’autorisation et d’immatriculation pour pouvoir y exercer une activité[19].
Les personnes morales (sociétés de capitaux, sociétés de personnes commerciales et civiles, trustees et fondations) ont l’obligation de conserver les renseignements comptables[20].
Un certain nombre de professionnels, dont les fournisseurs de services, sont soumis à des obligations d’identification et de vérification de l’identité de leur clientèle et des bénéficiaires économiques effectifs, ainsi que de conservation des renseignements. En matière bancaire, les banques et autres institutions financières doivent assurer la disponibilité des informations de nature financière ou transactionnelle, y compris copie des enregistrements, des livres de compte, des correspondances commerciales[21].
L’obtention et la communication des renseignements demandés au titre des conventions et accords internationaux conclus par Monaco est régie par l’Ordonnance n° 2.693 du 23/03/2010 et l’Arrêté ministériel n° 2010-159 en fixant les modalités d’application, à l’exclusion des conventions particulières conclues avec la France[22] (procédure d’instruction spécifique).
La collecte des renseignements relève de l’Ordonnance n° 3.085 du 25/09/1945 relative aux droits et devoirs des agents des services fiscaux. En l’absence de référence faite à l’intérêt domestique, les pouvoirs internes de collecte sont également utilisés aux fins de la coopération administrative internationale.
2. La pratique monégasque
L’échange de renseignements est essentiellement pratiqué avec les juridictions européennes et historiquement avec la France. L’instruction des demandes ainsi que l’applicabilité des droits et sauvegardes pour les personnes concernées en vertu des standards internationaux diffèrent selon que les demandes émanent du pays voisin ou d’autres juridictions.
2.1. Les renseignements échangés
Ainsi qu’il ressort de la période 2009-2012, évaluée par le Forum mondial de l’OCDE[23], Monaco reçoit et traite chaque année une quinzaine de demandes dans le cadre du système européen d’échange d’informations en matière de TVA. Par ailleurs, des renseignements sur les revenus de l’épargne sont régulièrement échangés avec l’Italie, le Royaume-Uni, la Belgique et l’Allemagne (1000 éléments d’informations en 2010, 837 en 2011 et 922 en 2012).
Le partenaire traditionnel et principal de Monaco est la France : – via l’échange automatique de renseignements (notamment sur les salaires, dividendes et revenus de pensions des ressortissants français résidant à Monaco, sur le chiffre d’affaires déclaré à Monaco par des entreprises établies en France, sur le montant des sommes versées par des employeurs monégasques à des résidents de France, sur le montant annuel des revenus de capitaux mobiliers versés par les établissements bancaires monégasques) ; – via l’échange sur demande (98,5 % des demandes étrangères, soit 199 sur 202[24], portant sur des impôts directs ou une évaluation immobilière afin de calculer l’impôt sur la fortune). La Principauté est un partenaire efficace, fournissant des réponses complètes en principe dans le délai imparti de 90 jours[25]. En cas de dépassement, un état d’avancement est envoyé.
L’assistance administrative va considérablement se développer avec l’Italie dès l’entrée en vigueur de l’Accord bilatéral et de son Protocole conclus le 02/03/2015 dans le contexte du Programme italien de déclaration spontanée (Voluntary Disclosure Programme – VDP, issu de la Loi n° 186/2014 relative à la rentrée des capitaux détenus à l’étranger). Des demandes groupées italiennes pourront être présentées aux autorités monégasques sur des comptes (clôturés, substantiellement vides ou inactifs) détenus par les titulaires de compte résidant en Italie auprès des institutions financières de Monaco[26].
A partir de 2018, la Principauté devrait effectivement mettre en œuvre l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers, comprenant tous types de revenus d’investissement y inclus les intérêts, les dividendes et les revenus de contrats d’assurance-vie, ainsi que les soldes de compte et les produits de vente d’actifs financiers. Monaco s’est d’ores et déjà expressément engagée à appliquer ce nouveau standard international avec l’Italie (Déclaration politique commune jointe à l’Accord bilatéral).
2.2. L’instruction des demandes et les garanties
Les autorités monégasques n’acceptent les demandes qu’en langue française ou anglaise et rédigent les réponses en français, ou en anglais sur demande expresse des autorités requérantes. S’agissant des demandes en provenance de la France, l’autorité compétente est le Directeur de la Direction de Services fiscaux (DSF). Celles-ci sont traitées par l’unité d’assistance administrative. Pour les demandes issues des autres juridictions, l’autorité compétente est le Conseiller de Gouvernement pour les Finances et l’Économie. Celles-ci sont traitées par la Division de l’échange de renseignements (DER).
La procédure à suivre pour recueillir et échanger les renseignements est similaire (contrôle de la conformité des demandes à l’instrument conventionnel[27], vérification de la présence des renseignements en interne et auprès des autres autorités administratives monégasques, et dans le cas contraire, demande de communication des renseignements à la personne concernée ou/et tout tiers détenant ces renseignements[28]), à cette réserve notable qu’aucune procédure de notification préalable à la personne concernée ne s’applique aux demandes présentées par la France.
Si les renseignements demandés par les autorités françaises sont disponibles au sein de la DSF ou d’une autre administration monégasque, ceux-ci peuvent être directement communiqués dans un délai de 2 à 3 semaines sans que la personne concernée n’en soit avisée.
L’Ordonnance souveraine n° 2.693 du 23/03/2010 s’appliquant aux autres demandes étrangères reconnaît à la personne concernée un droit d’information et de contestation de la demande de l’État requérant au stade de l’examen initial (article 3, alinéa 5). Celle-ci est informée de la demande de renseignements par lettre recommandée avec accusé de réception et dispose de 15 jours pour formuler ses observations écrites. L’incompatibilité de la demande de renseignements avec les limites prévues par l’instrument international pourra être soulevée.
La question de la conformité de cette notification préalable au standard international a été relevée par le Forum mondial, les droits et protections de nature procédurale en vigueur dans l’État requis étant applicables dans la mesure où ils « n’entravent pas ou ne retardent pas indûment l’échange effectif de renseignements ». Par Ordonnance souveraine n° 4.336 du 13/06/2013, la Principauté a ainsi introduit deux exceptions (article 3, alinéa 6 de l’Ordonnance souveraine n° 2.693). La procédure de notification préalable peut ne pas être appliquée, sur « demande valide et motivée de l’État requérant » :
• soit pour « extrême urgence établie » (que la procédure d’urgence de 20 jours de l’article 4 ne pourrait satisfaire) qui entraînerait la perte ou la destruction de preuves ;
• soit pour des « motifs sérieux permettant de considérer » que cette procédure entraînerait des « dommages irréversibles ou des menaces avérées d’échec » de l’enquête.
Si la demande est jugée recevable dans le délai de 45 jours (ou 20 jours, en cas d’urgence), une notification est envoyée à la personne concernée afin que celle-ci communique les informations requises. Celle-ci dispose dans le délai de 30 jours d’un recours contre l’injonction de fournir les renseignements devant le Tribunal de première instance, à effet suspensif (Section 5, article 8). Le jugement du Tribunal (rendu dans un délai de 30 jours) peut être contesté devant la Cour d’appel dans les 15 jours suivants, cet appel étant également suspensif[29].
Le détenteur des renseignements qui est enjoint de les fournir dispose lui aussi de garanties (article 11). Dès lors qu’il aura communiqué « de bonne foi » les informations et documents sollicités, sa responsabilité civile ou celle de la personne morale qu’il représente ne peut être engagée. Le détenteur des renseignements n’engage pas non plus sa responsabilité pénale, les dispositions de l’article 308 du Code pénal (réprimant la violation du secret dont les personnes sont dépositaires, par état ou profession) lui étant inapplicables[30].
Les informations reçues par l’État requis et l’État requérant sont protégées par une clause de confidentialité incluse dans chaque instrument international, à l’exception de la Convention fiscale franco-monégasque. Monaco applique des mesures strictes de confidentialité tout au long de la procédure d’instruction des demandes étrangères (enregistrement, archivage, traitement). En vertu du standard international, seule est en effet permise la divulgation aux personnes ou autorités (comprenant les organes juridictionnels et administratifs) concernées par l’affaire fiscale en cours, lesquelles ne peuvent utiliser les renseignements qu’à cette fin. Celles-ci peuvent en faire état sans demande d’approbation lors d’audiences publiques de tribunaux ou dans des décisions judiciaires. Sauf autorisation écrite expresse de la Principauté, les renseignements ne peuvent être divulgués aux tiers, ou toute autre autorité étrangère. Ceux-ci peuvent être communiqués au contribuable, à son représentant ou à un témoin, sans que ce soit une obligation, dès lors que la source des renseignements peut avoir légitimement intérêt à ce qu’ils soient maintenus confidentiels.
Le Forum mondial a relevé en 2013 le peu d’expérience de la Principauté dans deux domaines. D’une part, les obligations de tenue de registres comptables fiables pour les sociétés civiles et les trustees couverts par la Loi n° 1.385 du 15/12/2011 étant récentes, il lui a été recommandé d’ « effectuer une surveillance, de façon continue » sur leur disponibilité. D’autre part, la procédure d’investigation pour répondre aux demandes étrangères autres que la France ayant été encore peu utilisée, un suivi de la procédure de notification préalable est nécessaire. Afin de garantir que des réponses complètes continueront à être fournies dans un délai approprié, et en prévision de l’augmentation des demandes reçues en vertu des conventions et accords internationaux conclus depuis 2009, « des vérifications sur les points concernés ont été incluses dans les protocoles de contrôle menés actuellement et à l’avenir par la Direction de l’expansion économique ». Un rapport de progrès est en cours, avec à la clef une révision de la notation du dispositif et de la pratique monégasques « conforme pour l’essentiel » à la norme internationale.