Loi n° 1.517 du 23 décembre 2021 portant réforme des dispositions relatives à l’incrimination des agressions sexuelles
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La Loi n° 1.517 du 23 décembre 2021 portant réforme des dispositions relatives à l’incrimination des agressions sexuelles (publiée au JDM du 7 janvier 2022) est issue du projet de loi n° 1027 (21 articles), reçu par le Conseil National le 24 novembre 2020 et voté le 15 décembre 2021.
Le dispositif voté s’inspire des normes et travaux internationaux en la matière[1], et en particulier :
> Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, et travaux du Comité de suivi de cette Convention (CEDAW)[2] ;
> Convention d’Istambul du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, et travaux du Groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (GREVIO)[3].
Le dispositif s’attache à réprimer les infractions sexuelles sur mineur, également à la lumière de la réforme d’ampleur opérée par la loi française n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste (publiée au JORF du 22 avril 2021). [4]
Objectifs de la Loi n° 1517 :
> Redéfinir les éléments constitutifs des infractions et les peines, et « donner toute son efficacité et toute sa raison d’être à la répression des atteintes sexuelles ».[5],
La refonte projetée des dispositions du Code pénal est basée sur le constat « que certains comportements constitutifs de violences de nature sexuelle ne font pas actuellement l’objet d’incriminations pleinement adéquates, celles-ci nécessitant d’être à la fois modernisées et perfectionnées. »[6]
Il s’agit également « de faciliter les poursuites, afin de tenir compte des difficultés rencontrées par les juridictions au niveau procédural, liées à la nature criminelle des infractions », et d’améliorer les délais de réparation pour les victimes en correctionnalisant certaines infractions sexuelles (auparavant des crimes), mais sans en diminuer les peines encourues [7].
> Redéfinir le viol et les autres agressions sexuelles en référence au critère d’absence de consentement à l’acte sexuel donné de son plein gré, comme recommandé à Monaco par le CEDAW et le GREVIO [8].
« Dans cette approche, l’usage de la violence, de la contrainte, de la menace ou de la surprise permettrait de caractériser l’absence de consentement à titre d’éléments probatoires, sans toutefois que cette liste ne soit exhaustive – et, partant, limitative. »[9]
L’actualisation transcrit le « changement de philosophie pénale » : « à l’origine, les infractions sexuelles constituaient une atteinte à la chose publique, elles sont désormais appréhendées comme des atteintes la personne ». [10].
> Ajustements du Code de procédure pénale « pour tenir compte des répercussions, au niveau procédural, des modifications apportées aux incriminations dans le corpus pénal » [11].
Synthèse des modifications du Code pénal opérées par la Loi n° 1.517 :
♦ Restructuration de la Section IV – Attentats aux mœurs(du Titre II du Livre II) du Code pénal afin de traiter dans un 1 : l’exhibition sexuelle, le harcèlement sexuel, le chantage sexuel et l’atteinte sexuelle., et dans un § 2 : le viol et l’agression sexuelle :
> L’infraction d’exhibition sexuelle « imposée à la vue d’autrui dans un lieu accessible aux regards du public, ou par tout moyen accessible au public, y compris de communication électronique », remplace l’infraction d’outrage public à la pudeur. Circonstance aggravante lorsque celle-ci est imposée à la vue d’un mineur (modification de l’art. 260 CP).
> Précisions destinées à favoriser la caractérisation du harcèlement moral en présence de plusieurs auteurs (modification de l’art. 236-1 CP).
> Insertion dans le Code pénal de l’infraction de harcèlement moral au travail (prévue à l’art. 2 de la Loi n° 1.457 du 12 décembre 2017 relative au harcèlement et à la violence au travail, laquelle est par ailleurs modifié concernant les définitions du harcèlement moral au travail, du harcèlement sexuel au travail, du chantage sexuel au travail), pour une meilleur lisibilité du droit monégasque en la matière (nouvel art. 236-1-1-1 CP).
> Incrimination spécifique du harcèlement sexuel, défini comme « le fait d’imposer à une personne, de façon répété, sciemment et par quelque moyen que ce soit, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexistes qui, soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante » (nouvel art. 260-1 CP). Circonstances aggravantes lorsque commis : – par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ou dans le cadre d’une relation de travail ; – sur un mineur ; – sur une personne particulièrement vulnérable ou dépendante ; – par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ; – par l’utilisation de moyens numériques ou électroniques ; – alors qu’un mineur était présent et y assisté ; – par un ascendant, descendant, frère ou sœur, oncle ou tante, neveu ou nièce, ou leur conjoint ou partenaire d’un contrat de vie commune, ou personne vivant maritalement avec lui ; – par toute personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ; – par un actuel ou ancien conjoint, ou partenaire d’un contrat de vie commune ; – par un actuel ou ancien cohabitant d’un contrat de cohabitation ou personne vivant avec l’auteur sous le même toit ou y ayant vécu durablement. (nouvel art. 260-3 CP).
> Incrimination spécifique du chantage sexuel, défini comme « le fait, même non répété, d’user envers une personne physique de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers » (nouvel art. 260-2 CP). Circonstances aggravantes lorsque commis : – par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ou dans le cadre d’une relation de travail ; – sur un mineur ; – sur une personne particulièrement vulnérable ou dépendante ; – par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice ; – par l’utilisation de moyens numériques ou électroniques ; – alors qu’un mineur était présent et y assisté ; – par un ascendant, descendant, frère ou sœur, oncle ou tante, neveu ou nièce, ou leur conjoint ou partenaire d’un contrat de vie commune, ou personne vivant maritalement avec lui ; – par toute personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ; – par un actuel ou ancien conjoint, ou partenaire d’un contrat de vie commune ; – par un actuel ou ancien cohabitant d’un contrat de cohabitation ou personne vivant avec l’auteur sous le même toit ou y ayant vécu durablement. (nouvel art. 260-3 CP).
> L’infraction d’atteinte sexuelle, qui désigne « tout acte à caractère sexuel, hors les cas de viol ou d’agression sexuelle », remplace l’expression « attentat à la pudeur » (modification de l’art. 261 CP). Gradation des peines. 1. correctionnelles (emprisonnement et amende) : – par un majeur sur un mineur de moins de 15 ans selon que la différence d’âge entre le majeur et le mineur est de moins de 5 ans, ou d’au moins 5 ans ; – par un majeur sur un mineur de 15 ans au moins, non émancipé par le mariage, lorsque les faits sont commis : par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions, par toute personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait. 2. criminelles (réclusion) : par un majeur sur un mineur de moins de 15 ans, lorsque la personne abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ou ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait.
> Définition de l’absence de consentement applicable aux infractions de viol et d’agression sexuelle : « notamment lorsque la pénétration sexuelle, l’acte bucco-génital ou tout autre acte à caractère sexuelle a été imposé par la violence, contrainte [physique ou morale], menace ou surprise » (nouvel art. 261-1, al. 1 et 2 CP)
> Intégration d’une présomption irréfragable d’absence de consentement lorsque le viol ou l’agression sexuelle est : – commise sur un mineur de moins de 13 ans (nouvel art. 261-1, dernier al. CP) ; incestueux sur un mineur quel que soit son âge (nouvel art. 261-2, dernier al. CP).
> Le viol et l’agression sexuelle sont incestueux lorsqu’ils sont commis par : – un descendant ou ascendant ; – un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu, une nièce ; – le conjoint ou le partenaire d’un contrat de vie commune d’une des personnes précédemment mentionnées ou la personne vivant maritalement avec elles (nouvel art. 261-2P).
> Redéfinition du viol comme « le fait d’imposer à la personne d’autrui, de commettre ou de subir, sans son consentement, tout acte de pénétration sexuelle ou acte bucco-génital, de quelque nature qu’il soit et par quelque moyen que ce soit. » (modification de l’art. 262 CP), Constitue également un viol, « le fait d’imposer à une personne de commettre sur un tiers ou de subir de la part d’un tiers, sans son consentement, une pénétration sexuelle ou un acte bucco-génital » (nouvel art. 262-3 CP). Sont prévues 18 circonstances aggravantes (nouveaux art. 262-1 et 262-2 CP).
> L’infraction d’agression sexuelle, définie comme « le fait d’imposer à la personne d’autrui, de commettre ou de subir, sans son consentement, tout acte à caractère sexuel sans acte de pénétration sexuelle ou acte bucco-génital », remplace l’ « attentat à la pudeur, consommé ou tenté avec violence » (modification de l’art. 263 CP). Constitue également une agression sexuelle, « le fait d’imposer à une personne de commettre sur un tiers ou de subir de la part d’un tiers, sans son consentement, tout acte à caractère sexuel autre qu’une pénétration sexuelle ou acte bucco-génital » (nouvel at. 264-2 CP). Sont prévues 17 circonstances aggravantes (modification de l’art. 264 CP, nouvel art. 264-1 CP).
> La tentative des délits d’agression sexuelle est punie des mêmes peines que celles prévues pour ces infractions (nouvel art 264-3 CP).
♦ Modifications du Code de procédure pénale
> Délai de prescription pour les délits d’atteinte sexuelle et d’agression sexuelle prévus aux art. 261, 263 et 264 CP, fixé à 20 années à compter du jour de la majorité de la victime mineure. (art. 13, nouveau 2nd al. CPP).
> Extension aux victimes incapables majeures des dispositions procédurales protectrices prévues pour les victimes mineures concernant les infractions contre les personnes, permettant de solliciter au cours de l’audition de la victime ou de sa confrontation avec l’auteur présumé, la présence d’un psychologue, d’un médecin, d’un membre de la famille du majeur ou de l’administrateur ad hoc (modification de l’art. 268-4 CPP).
[1] Motifs du projet de loi n° 1027, 2020-16, 9 novembre 2020, p. 4.
[2] CEDAW, Recommandation générale n° 35 sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale n° 19, 2017, CEDAWC/GC/35, § 29.
[3] Article 36 « Violence sexuelle y compris le viol » de la Convention d’Istambul.
[4] Apports de la loi française n° 2021-478 du 21 avril 2021 visant à protéger les mineurs des crimes et délits sexuels et de l’inceste, dans les grandes lignes : – quatre nouvelles infractions (crime de viol sur mineur de moins de 15 ans, crime de viol incestueux sur mineur de moins de 18 ans, délit d’agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans, délit d’agression sexuelle incestueuse sur mineur de moins de 18 ans) ; – précision de la définition du viol (ajout des actes bucco-génitaux) et clause dite « Roméo et Juliette » (pas de pénalisation lorsque le majeur et le mineur ont moins de cinq ans d’écart, mais inapplicable aux cas d’inceste, de non-consentement et de prostitution) ; – aggravation des peines en cas d’atteintes sexuelles sur mineur qui sont encourues par toute « personne majeure ayant sur la victime une autorité de fait ou de droit » ; – dans le cas d’inceste, suppression de la question du consentement de l’enfant et extension de son périmètre aux grands-oncles et grandes-tantes ; – délai de prescription d’un viol, d’une agression sexuelle ou d’une atteinte sexuelle sur un mineur dit « glissant » (peut être prolongé si le même auteur viole ou agresse sexuellement un autre mineur jusqu’à la date de prescription de cette nouvelle infraction), et nouvelle prescription pour le délit de non-dénonciation ; – adaptation de délits sexuels au moyen de communication électronique (délit de corruption de mineur, délit d’extorsion d’images pornographiques aux mineurs) ; – prostitution plus sévèrement sanctionnée, ainsi que le délit d’exhibition sexuelle commis au préjudice d’un mineur de quinze ans ; – inscription systématique dans le fichier judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes (FIJAISV) ; – incitation au prononcé de peines complémentaires (par ex. interdiction d’exercer une activité bénévole ou professionnelle au contact d’enfants à titre définitif).
[5] Motifs du projet de loi n° 1027, op. cit., p. 3.
[6] Ibidem.
[7] Rapport sur le projet de loi n° 1027, p. 2.
[8] CEDAW/C/MCO/CO/1-3 du 22 novembre 2017, spéc. § 26 ; GREVIO/Inf(2017)3, spéc. § 116.
[9] Motifs du projet de loi n° 1027, op. cit., p. 5.
[10] Rapport sur le projet de loi n° 1027, p. 3.
[11] Rapport sur le projet de loi n° 1027, p. 2.