Le Règlement (UE) n° 650/2012 relatif aux successions : quels effets pour Monaco ?
10.2015
Le Règlement (UE) N° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 04/07/2012 (entré en vigueur le 16/08/2012) est « relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen ».
Hormis quelques dispositions particulières, le Règlement est applicable aux successions internationales « à cause de mort » ouvertes depuis le 17/08/2015 (articles 83, § 1er et 84), rattachées à un ou plusieurs États membres de l’Union européenne (Danemark, Irlande et Royaume-Uni exclus). En sa qualité d’État tiers, la Principauté n’est certes pas liée par le Règlement (UE) N° 650/2012. Néanmoins, en raison de certaines de ses règles à vocation universelle, le Règlement est susceptible d’avoir une influence en matière de planification dans le contexte de successions nourrissant des liens à la fois avec un ou plusieurs États européens, et avec Monaco (résidence, présence de biens, nationalité).
1. Le traitement des successions internationales en Union européenne et à Monaco
1.1. L’idée-force du Règlement (UE) N° 650/2012
1.2. La conception monégasque de résolution des conflits
2. Les effets du Règlement européen du point de vue de la Principauté
2.1. Les règles européennes de résolution des conflits
2.2. Exemples d’interférences avec les règles monégasques
Le Règlement (UE) N° 650/2012 s’applique aux aspects de droit civil des successions internationales « à cause de mort » (à l’exclusion des aspects fiscaux, douaniers, administratifs)[1], c’est-à-dire « tout mode de transfert de biens, de droits et d’obligations », qu’il s’agisse d’une succession testamentaire (volontaire) ou d’une succession ab intestat (légale)[2]. Sont concernées : – les successions des ressortissants d’États tiers ayant leur résidence habituelle au moment du décès dans un État membre de l’UE lié par le Règlement ; – les successions des ressortissants européens ou d’États tiers installés dans un État tiers et possédant des biens dans un ou plusieurs États membres.
Le Règlement a un double objectif : mettre les citoyens de l’espace européen de justice « en mesure d’organiser à l’avance leur succession » ; garantir « de manière effective » les droits des héritiers et légataires ainsi que des créanciers de la succession[3].
Le Règlement tend en ce sens à résoudre de manière complète les problématiques du droit international privé des successions au sein de l’UE. Outre un important Préambule (83 considérants) et des dispositions générales et finales (articles 1 à 3, 74 à 84), le Règlement contient des règles de conflit de juridiction[4] (articles 4 à 19), des règles de conflit de lois[5] (articles 20 à 38), des dispositions relatives à la reconnaissance internationale des décisions (articles 39 à 61), et une règlementation relative au certificat successoral européen[6] (articles 62 à 73).
Après une présentation des conceptions européennes et monégasque de résolution des conflits de juridiction et de lois en matière successorale, une analyse des effets possibles du Règlement du point de vue de la Principauté sera proposée, illustrant ce faisant l’intérêt de procéder à une planification patrimoniale, ou de réexaminer les dispositions antérieurement arrêtées.
1. Le traitement des successions internationales en Union européenne et à Monaco
Le droit international privé s’applique aux situations présentant des éléments d’extranéité. Il fonctionne sur la base de critères de rattachement qui déterminent la juridiction compétente et la loi applicable aux relations juridiques des personnes privées régies par plusieurs États. Contrairement à ce que son appellation peut laisser entendre, celui-ci n’est pas uniforme, chaque pays adoptant ses propres règles[7]. Des efforts pour unifier les règles de conflits en matière successorale ont certes été déjà opérés au niveau international, mais ceux-ci n’ont eu jusqu’à présent qu’un succès limité[8].
L’idée-force du Règlement européen est de coordonner les systèmes nationaux des États membres liés[9] (et non d’unifier leurs règles matérielles successorales, inchangées). Il a vocation à s’appliquer de la manière la plus large possible, même quand la succession concerne des États tiers comme Monaco, dont les propres règles de résolution des conflits sont en concurrence.
1.1. L’idée-force du Règlement (UE) N° 650/2012
Le Règlement tend à lever les difficultés de traitement des successions transfrontières résultant de la coexistence de deux conceptions du droit successoral, à la faveur de la planification successorale.
Certains États adoptent une approche dite unitaire[10] : tous les biens successoraux (meubles[11] et immeubles[12]) sont rattachés à la personne du de cujus[13] (mobilia sequuntur personam), c’est-à-dire à sa loi personnelle (lex personalis) – loi de son dernier domicile (lex domicilii) ou de sa résidence habituelle, ou loi nationale (lex patriae).
D’autres États adoptent une approche dite scissionniste ou dualiste[14] : les meubles sont rattachés à la loi personnelle du de cujus (lex personalis), tandis que les immeubles sont rattachés à la loi de leur lieu de situation (lex rei sitae).
Le système unitaire est simple d’application et permet d’éviter les contradictions juridiques dans la répartition des biens mobiliers et immobiliers situés dans plusieurs pays, avec cet inconvénient qu’en cas de succession immobilière, la décision risque de ne pas être reconnue et exécutée dans le pays de situation des biens.
Le système scissionniste est efficace en ce que la décision sera plus facilement reconnue et exécutée dans le pays de situation des biens, avec cet inconvénient lorsque le défunt laisse des biens mobiliers et immobiliers dans plusieurs pays, de rendre complexe la détermination des lois applicables.
En raison de ces divergences d’approche, le traitement d’une succession internationale peut faire naître des conflits quant à la juridiction compétente et quant à la loi applicable, plusieurs systèmes juridiques étant susceptibles de la régir.
Afin de prévenir les conflits (ainsi que simplifier les formalités juridiques, accélérer le traitement de la succession, réduire les coûts), le Règlement favorise le traitement unitaire de la succession, en tendant à faire coïncider compétence et droit applicable (Considérant 27). Concrètement, il privilégie l’application par la juridiction désignée (autorité judiciaire ou autre autorité compétente en matière de successions[15]) d’un État membre de son droit interne (qu’elle connaît le mieux) pour tous les biens, sans égard à leur nature (meubles ou immeubles) et à leur localisation (dans un autre État membre ou dans un État tiers).
Les règles relatives à la reconnaissance et à l’exécution de décisions ou actes étrangers, à la litispendance[16] (article 17) et à la connexité[17] (article 18), au certificat successoral européen ne trouvent application que dans le cadre des rapports entre les États membres de l’UE liés par le Règlement (portée inter partes).
Les règles de résolution des conflits de compétence et de détermination de la loi applicable ont par contre vocation à s’appliquer de manière universelle (portée erga omnes) et donc également dans les situations où une succession a des points de rattachement avec des États tiers, comme Monaco.
1.2. La conception monégasque de résolution des conflits
La Principauté n’a pas à ce jour de loi spécifique de droit international privé (un projet de loi – n° 912 – relative au droit international privé a été déposé le 18/06/2013)[18]. Les règles de résolution des conflits de juridiction et des conflits de loi trouvent leur source dans le Code civil et le Code de procédure civile, la jurisprudence suppléant aux ambiguïtés et au silence des textes.
D’après la règle monégasque de conflit, la compétence des tribunaux monégasques pour connaître des actions relatives à une succession internationale peut être fondée sur le domicile[19] du de cujus sur le territoire de la Principauté « au jour de son décès »[20] (application combinée de l’article 3, 2° ou 3° du Code de procédure civile[21] et de l’article 83 du Code civil), ou sur la présence d’immeubles sur le territoire de la Principauté (article 3, 1° du Code de procédure civile) :
- le juge monégasque a compétence pour connaître des actions portant sur les meubles, dans leur globalité (où qu’ils se trouvent) dès lors que la succession est ouverte en Principauté parce que le défunt y avait son dernier domicile (quel que soit le lieu de son décès) ;
- le juge monégasque a une compétence réservée pour connaître des actions portant « sur des immeubles exclusivement situés à Monaco »[22], que la succession soit ou non ouverte en Principauté.
Notons qu’un jugement étranger statuant sur une demande visant des biens immobiliers situés à Monaco ne saurait y être exécuté, en tant qu’émanant « d’une juridiction incompétente au regard de l’article 3, 1° du Code de procédure civile, exclusif en la matière qu’il concerne d’une compétence étrangère »[23].
Le juge monégasque ne peut en revanche connaître des actions ayant pour objet des immeubles situés à l’étranger, « le système de droit international privé monégasque constituant en effet de tels immeubles en une masse dévolue et liquidée séparément ». Cette règle, « dérivée du principe de morcellement des successions internationales, réside notamment dans l’application territoriale des lois relatives aux immeubles »[24].
La Principauté applique un système scissionniste, distinguant entre la loi applicable (comprenant aussi bien les règles successorales[25] que les règles de conflit) aux immeubles et celle applicable aux meubles :
- « les successions immobilières sont régies en droit international privé monégasque par la loi de situation des immeubles »[26] (lex rei sitae) ;
Le droit successoral monégasque s’applique ainsi aux immeubles situés à Monaco, « même ceux possédés par des étrangers » (article 3, alinéa 2 du Code civil).
- s’agissant des successions mobilières, la « règle de conflit de lois monégasque donne compétence à la loi nationale du de cujus »[27] (lex patriae).
Le droit successoral monégasque est donc applicable lorsque le défunt est de nationalité monégasque, mais peut l’être aussi lorsque le défunt est de nationalité étrangère par le jeu du renvoi (« la loi étrangère rendue compétente par le droit monégasque, décline une telle attribution et laisse à la loi du domicile du défunt, le soin de régler la succession mobilière »[28]).
Aucune disposition du droit monégasque « n’autorise formellement le choix par un étranger de la loi matérielle du pays dont il a la nationalité pour régir sa propre succession » (professio juris). Si la jurisprudence laisse une place à l’autonomie de la volonté, celle-ci revêt une portée limitée en pratique.
- le recours à la professio juris « n’apparaît pas interdit par les dispositions légales monégasques en ce qui concerne les biens successoraux mobiliers » (la loi nationale du de cujus correspondant au demeurant aux règles de rattachement objectif), mais « n’apparaît pas actuellement autorisé » pour les immeubles situés en Principauté (en application de l’article 3, alinéa 2 du Code civil)[29] ;
- la professio juris n’exclut pas le renvoi à la loi monégasque[30] (selon la jurisprudence, le choix de loi désigne les règles successorales mais aussi celles de droit international privé du pays de nationalité du de cujus) ;
- la professio juris n’emporte pas professio fori, c’est-à-dire attribution de compétence au profit des juridictions de la loi nationale désignée[31].
Le juge conserve en outre la faculté d’écarter la loi étrangère rendue compétente, au profit de la loi monégasque, au motif que son application serait contraire à l’ordre public monégasque (principes nationaux considérés comme fondamentaux, comme la réserve héréditaire[32]). Cette exception d’ordre public joue de manière pleine à l’égard de situations constituées à Monaco, lorsqu’il s’agit d’appliquer directement sur le territoire monégasque une loi qui heurte les conceptions essentielles de son ordre juridique. Celle-ci joue de manière atténuée lorsqu’il s’agit uniquement « de laisser se produire à Monaco, les effets de droits régulièrement acquis à l’étranger, en conformité de la loi applicable selon la règle monégasque de conflit », la contrariété avec l’ordre public pouvant être tolérée par le juge monégasque[33], après appréciation in concreto.
Enfin, les règles de droit international privé monégasque ne sauraient avoir un quelconque effet sur la question de savoir si une autorité étrangère est ou non (selon ses propres règles de conflit) compétente pour connaître de la succession. Le fait qu’une juridiction étrangère aurait également retenu sa compétence pour une instance similaire n’a pas d’effet sur la compétence du juge monégasque, étant « de jurisprudence constante que la litispendance en matière internationale n’est pas admise »[34] en Principauté. Celui-ci n’a pas plus à rechercher si ses décisions seront ou non reconnues à l’étranger[35].
Un examen plus détaillé du Règlement (UE) N° 650/2012 permettra de donner un aperçu des possibles interférences avec les règles de droit international privé monégasque.
2. Les effets du Règlement européen du point de vue de la Principauté
Le lieu de résidence habituelle du de cujus au moment de son décès est le principal critère de rattachement retenu par le Règlement européen[36]. Un État membre lié pourra à ce titre asseoir sa juridiction sur l’ensemble de la succession, et lui appliquer son droit national. Lorsque le défunt avait sa résidence habituelle dans un État tiers, d’autres chefs de compétence permettent néanmoins à un État membre de connaître de la succession dans son ensemble, ou au moins en partie. Quoique la loi de dernière résidence habituelle du défunt (qui peut être celle d’un État tiers) est de principe applicable, une place est laissée à la loi nationale du de cujus : l’admission de la professio juris constitue pour la majorité des États membres l’une des innovations les plus significatives du Règlement.
Dans le cadre des relations avec la Principauté, de tradition scissionniste, la dissociation entre for et loi applicable ainsi que des conflits de juridiction sont à prévoir, bien que le Règlement tienne compte de la compétence d’États tiers sur les biens situés sur leur territoire. Quant à la reconnaissance des décisions monégasques, une demande d’exequatur dans un État européen continuera d’être régie par les règles internes de cet État ou les conventions internationales applicables[37].
2.1. Les règles européennes de résolution des conflits
La compétence d’un État lié par le Règlement sur l’ensemble de la succession peut être fondée sur la résidence habituelle du défunt sur son territoire au moment de son décès (article 4), sur des règles particulières en cas de choix de loi opéré par le défunt (articles 5 à 7), sur la présence de biens successoraux sur son territoire (article 10), ou encore sur la nécessité (article 11), nonobstant la possible compétence d’un État tiers :
- les juridictions d’un État lié par le Règlement ont une compétence générale pour traiter la succession dans son ensemble, dès lors que le défunt y avait sa résidence habituelle au moment du décès (article 4), y compris donc sur les biens (quelle que soit leur nature) situés dans des États tiers ;
- dans l’hypothèse où un de cujus ressortissant d’un État membre a choisi la loi de sa nationalité pour régir l’ensemble de sa succession[38], les juridictions de cet État pourront se déclarer compétentes (forum legis) dans les cas de figure suivants : – les parties à la procédure ont choisi la compétence de l’État membre de nationalité via un accord d’élection de for (article 7, b)[39] ou l’ont expressément acceptée à sa saisine (article 7, c) ; – la juridiction de l’État membre de la résidence habituelle ou de la localisation d’une partie des biens a prononcé un déclinatoire de compétence (article 7, a) sur requête d’une des parties à la procédure (article 6, a)[40] ;
- lorsque le défunt avait sa résidence habituelle dans un État tiers et laisse des biens successoraux dans un État membre, ce dernier pourra : – soit statuer sur la succession dans son ensemble, si le défunt est son national (article 10, § 1, a), ou s’il y a anciennement résidé de manière habituelle dans les cinq ans précédant la saisine de la juridiction (article 10, § 1, b) ; – soit statuer de manière résiduelle sur les seuls biens localisés sur son territoire, si les conditions précédentes ne sont pas remplies et qu’aucun autre État membre n’est compétent (article 10, § 2) ;
- à titre exceptionnel, dans l’hypothèse où une procédure ne pourrait raisonnablement être introduite ou conduite, ou serait impossible dans un État tiers[41], un État membre peut statuer sur la succession (forum necessitatis) si d’une part, aucun autre État membre n’est compétent en vertu d’autres dispositions du Règlement, et d’autre part, son lien avec l’affaire est suffisant (article 11).
Le Règlement rend possible une limitation de la procédure s’agissant des biens localisés dans un État tiers (article 12), afin de tenir compte des propres règles de droit international privé de cet État. La juridiction de l’État membre saisie pour statuer sur la succession a en effet la faculté de décliner sa compétence sur l’un ou plusieurs de ces biens, à une double condition : – une requête en ce sens doit être présentée par l’une des parties ; – et la décision que rendrait la juridiction de l’État membre compétent sur ces biens risque de ne pas être reconnue, ou de ne pas être déclarée exécutoire dans l’État tiers[42]. Ce cas de figure pourrait trouver application dans le cas d’immeubles situés à Monaco, qui revendique une compétence juridictionnelle exclusive sur de tels biens.
Concernant les règles de conflits de loi, le Règlement pose le principe de leur application universelle en rappelant que toute loi qu’il désigne s’applique, même si cette loi est celle d’un État tiers (article 20), et « régit l’ensemble de la succession » (article 23). Ces règles sont fondées sur la résidence habituelle du défunt, sur les liens manifestement plus étroits avec un autre État (article 21), et sur la nationalité du de cujus (article 22) :
- selon la règle générale, la loi de l’État (membre ou tiers) dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment du décès s’applique (article 21, § 1)[43] ;
Dans l’hypothèse où la loi d’un État tiers est désignée par le Règlement, celle-ci doit s’entendre « des règles de droit en vigueur dans cet État, y compris ses règles de droit international privé » (article 34, § 1)[44], à condition que ces dernières opèrent un renvoi : – soit à la loi d’un État membre ; – soit à la loi d’un autre État tiers qui appliquerait son propre droit matériel successoral (autrement dit, dont les règles de droit international privé ne renvoient pas à une autre loi).
- à titre exceptionnel, les règles matérielles[45] applicables à la succession peuvent être celles d’un autre État que celui de la dernière résidence habituelle du défunt : pour ce faire, il doit résulter de l’ensemble des circonstances que le défunt présentait avec cet État des liens manifestement plus étroits (article 21, § 2)[46] ;
- enfin, le de cujus peut choisir la loi matérielle successorale[47] de l’État (ou de tout État) dont il possède la nationalité (État membre ou État tiers) [48], pour régir l’ensemble de sa succession (article 22)[49].
La professio juris est valable si le défunt a la nationalité de l’État qu’il désigne au moment où il fait ce choix, ou au moment de son décès. Du point de vue formel, le choix est « formulé de manière expresse dans une déclaration revêtant la forme d’une disposition à cause de mort ou résulte des termes d’une telle disposition[50]» (article 22, § 2).
Quant aux effets de la professio juris, une incertitude demeure dans l’hypothèse où l’État de résidence habituelle, compétent pour traiter la succession, protège par son droit certaines personnes (tels les héritiers réservataires), alors que la loi de l’État de nationalité, libérale, ne prévoit pas une telle protection. Aucune limitation à ce sujet ne découlant des dispositions relatives à la professio juris, la question d’une limitation pouvant résulter de l’application par l’État du for de la réserve d’ordre public (article 35)[51] est discutée[52].
2.2. Exemples d’interférences avec les règles monégasques
Dans le cadre de successions rattachées à Monaco et à un État lié par le Règlement, hormis les immeubles qui ne sont pas situés à Monaco (qui ne ressortissent pas de la compétence du juge monégasque), les autres biens successoraux pourraient faire l’objet de procédures parallèles, ainsi que l’illustrent par exemple les situations suivantes.
De cujus domicilié/résidant habituellement à Monaco au moment de son décès et laissant des biens dans un État lié par le Règlement
Du point de vue monégasque, ses juges ont compétence sur la succession immobilière exclusivement située à Monaco (règles monégasques), et sur la succession mobilière dans son ensemble (règles matérielles et de conflits de loi de l’État de nationalité du de cujus), quelle que soit la nationalité du de cujus. Si le de cujus est ressortissant d’un État européen lié, le juge monégasque devrait appliquer les règles européennes de conflit à la succession mobilière.
Du point de vue du Règlement, si le de cujus possède la nationalité de l’État membre sur le territoire duquel sont situés des biens successoraux, ou si le de cujus (de nationalité d’un autre État, membre ou tiers) avait antérieurement résidé dans cet État de manière habituelle dans les cinq ans précédant la saisine de son autorité, celui-ci conserve la possibilité d’asseoir sa compétence sur l’ensemble de la succession (première hypothèse). L’utilisation de l’article 12 du Règlement permettrait d’atténuer le conflit : à la demande d’une des parties, la juridiction de l’État membre pourrait décider de décliner sa compétence sur les biens situés à Monaco, au motif qu’il est prévisible que sa décision n’y sera pas exécutée. À défaut d’une telle nationalité ou résidence, le Règlement confère à l’État membre une compétence résiduelle sur les biens successoraux situés sur son territoire (seconde hypothèse). Le juge monégasque ne pouvant connaître des successions immobilières situées à l’étranger, le principal point de friction concernerait les meubles situés sur le territoire de l’État membre.
Si la juridiction d’un État membre s’est déclarée compétente, nonobstant la dernière résidence habituelle du de cujus à Monaco, celle-ci pourrait écarter l’application de la loi monégasque. Par exemple, dans le cas où le défunt n’aurait que récemment déplacé sa résidence habituelle en Principauté sans y tisser des liens étroits avant son décès, l’État membre pourrait estimer que l’ensemble des circonstances démontre que le de cujus avait des liens manifestement plus étroits avec lui, et appliquer son propre droit successoral. Une telle application peut être évitée par le de cujus en désignant le droit matériel de son État (ou d’un de ses États) de nationalité comme applicable à l’ensemble de sa succession (professio juris).
De cujus domicilié/résidant habituellement dans un État lié par le Règlement au moment de son décès et laissant des biens à Monaco
Du point de vue monégasque, le juge monégasque a compétence exclusive pour statuer sur les immeubles successoraux situés à Monaco, auxquels le droit successoral monégasque est applicable.
Du point de vue du Règlement, l’État membre dans lequel le de cujus avait sa dernière résidence habituelle est en principe compétent pour statuer sur l’ensemble de la succession, quelle que soit la nationalité du de cujus. Si ce dernier est ressortissant d’un autre État lié par le Règlement et a choisi la loi de sa nationalité pour régir l’ensemble de sa succession, son État de nationalité pourra néanmoins établir sa compétence dans les conditions prévues par le Règlement (forum legis).
Étant prévisible qu’une décision de l’État lié par le Règlement sur les immeubles situés à Monaco ne pourra y être exécutée, l’utilisation de l’article 12 du Règlement sur requête d’une des parties lui permettrait de décliner sa compétence sur ces biens.
En l’absence de professio juris (droit successoral de l’État de nationalité du de cujus), ou d’un rattachement plus étroit et manifeste avec un autre État que celui de la dernière résidence habituelle (droit successoral de cet État), le droit successoral de l’État membre de dernière résidence habituelle est de principe applicable.
Dans les situations choisies, les notions de domicile au sens monégasque et de résidence habituelle au sens européen ont été assimilées. Bien que proches[53], celles-ci pourraient recevoir une acceptation différente. Il n’est pas exclu qu’une personne puisse être par exemple considérée au moment de son décès comme étant domiciliée à Monaco, tout en ayant sa résidence habituelle dans un État lié par le Règlement. Les autorités de l’État membre s’estimant compétentes sur l’ensemble de la succession, il existerait un conflit positif de compétence avec le juge monégasque sur la succession immobilière située à Monaco, ainsi que sur la succession mobilière. Comme dans les situations précédentes, le recours à l’article 12 du Règlement permettrait de résoudre le conflit ayant trait aux biens situés en Principauté.
[1] Article 1, § 1 du Règlement. Le Règlement est applicable aux successions « à cause de mort » (l’absence et la disparition peuvent constituer deux autres causes d’ouverture de la succession). Le § 2 liste les matières exclues de son champ d’application (notamment les régimes matrimoniaux, les donations, les obligations alimentaires). Voir aussi les considérants 10 à 19. À noter que le trust n’est pas exclu de manière générale.
[2] Considérant 9 du Règlement. Une succession testamentaire n’est pas entièrement réglée par la loi. À défaut de testament, ou pour le compléter, les biens sont partagés selon l’ordre légalement établi (à Monaco, par les articles 614 à 619 du Code civil).
[3] Considérant 7 du Règlement.
[4] Méthode solutionnant le problème du choix du Tribunal compétent pour connaître d’un litige présentant des liens avec plusieurs États.
[5] Méthode solutionnant le problème du choix du Tribunal compétent pour connaître d’un litige présentant des liens avec plusieurs États.
[6] Document standardisé destiné à être utilisé par les héritiers ou légataires, les exécuteurs testamentaires ou les administrateurs de la succession pour faire la preuve de leur qualité et/ou de leurs droits dans un autre État membre (article 63). Il revêt un caractère subsidiaire (facultatif, il « ne se substitue pas aux documents internes utilisés à des fins similaires dans les États membres », article 62, §§ 2 et 3). Sa durée de validité est limitée à 6 mois (article 70, § 3).
[7] Voir par ex. TPI, PO c/ WY, 16/01/2014 et SB c/ Vve AB, EB, 11/06/2015 (rappel du principe de l’élaboration souveraine des règles de compétence internationale).
[8] La Convention de La Haye du 05/10/1961 sur les conflits de lois en matière de forme des dispositions testamentaires lie 42 États (pas Monaco). Celle du 02/10/1973 sur l’administration internationale des successions est entrée en vigueur entre 3 États (Portugal, République tchèque et Slovaquie). Celle du 01/08/1989 sur la loi applicable aux successions à cause de mort n’a été ratifiée que par les Pays-Bas.
[9] Le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark ne sont pas liés au Règlement (Considérants 82 et 83) conformément à leur position à l’égard de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (articles 1 et 2 des protocoles n° 21 et 22 annexés au Traité sur l’UE et au Traité sur le fonctionnement de l’UE). Ceux-ci sont des États tiers au sens du Règlement.
[10] Allemagne, Autriche, Espagne, États baltes, Finlande, Grèce, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne, Portugal, Slovaquie, Slovénie, Suède, République tchèque (aussi Danemark, Suisse, Japon, Égypte, Argentine, Pérou, Paraguay…).
[11] Par ex. comptes bancaires, œuvres d’art, bijoux.
[12] Par ex. appartement, villa, garage, cave, terrain, forêts.
[13] Défunt dont la succession est ouverte.
[14] Belgique, Bulgarie, Chypre, France, Luxembourg, Malte, Roumanie (aussi Irlande, Royaume-Uni et autres pays anglo-saxons, Russie, Roumanie, Chine, Turquie…).
[15] Des notaires ou services de l’état civil peuvent être amenés à exercer des « fonctions juridictionnelles » ou à agir « en vertu d’une délégation de pouvoirs d’une autorité judiciaire ou sous le contrôle judiciaire » (article 3, § 2), comme l’établissement d’un certificat d’héritier ou autre acte de notoriété
[16] Un litige en cours devant une juridiction compétente pour en connaître est porté devant une autre juridiction également compétente.
[17] Lien étroit existant entre deux demandes distinctes.
[18] Certains États d’Europe ont fait le choix de systématiser les règles de droit international privé (Loi suisse du 18/12/1987, Loi italienne du 31/05/1995, lois allemandes des 25/07/1986 et 21/05/1999, Code belge du 16/07/2004). Pour des analyses des spécificités du droit international privé monégasque, voir : Catherine Mabrut, « Particularismes des contentieux monégasques », Les Annonces de la Seine, n° 56, 10/10/2011 ; Renaud de Bottini, « Regards sur le droit monégasque des conflits », Revue de Droit Monégasque, N°5, 2003 ; Géraldine Gazo, Le statut personnel en droit international privé monégasque, Thèse dact., Université Panthéon-Assas Paris II, 2001 ; Robin Svara, Le nouveau droit international privé monégasque, Mémoire de Master, Université Panthéon-Assas Paris II, 2013.
[19] Le domicile est fixé au lieu du principal établissement (article 78 du Code civil). Ex. de critères pouvant être pris en compte par les juges : ancienneté et continuité de l’installation, fixation des intérêts (CA, Administrateur des Domaines et Trésorier Général des Finances c/ Dame R. ès-qualités et Dame de J., 17/04/1972), centre des affaires (TPI, Dame M.-C. c/ Cts M., 23/07/1976), lieu de conservation des intérêts et intention de fixer son principal établissement (TPI, C.M. c/ Dame S. Vve M., 03/05/ 1984), centre des intérêts et des activités (TPI, V. et C. c/ hoirs C., 21/02/1991), lieu de travail et de vie (CA, B. c/ S.B., S., G., K., G., 17/02/1998). Distinct du domicile au sens fiscal (TPI, Sieur K. c/ Dame B., Dame C., Cts H., 28/03/1985).
[20] CA, B. c/ S.B., S., G., K., G., 17/02/1998.
[21] Demandes entre cohéritiers (CA, K. c/ Dame M., 20/03/1990) ou de tiers contre un héritier ou un exécuteur testamentaire (article 3, 3° du Code de procédure civile) ; actions fondées sur des obligations nées à Monaco (TPI, PO c/ WY, 16/01/2014 – action d’un héritier contre l’exécuteur testamentaire) ou devant y être exécutées (article 3, 2°). Le lieu d’ouverture de la succession détermine aussi la compétence des notaires.
[22] TPI, Cts M. c/ M., 10/06/1999.
[23] TPI, C.M. c/ Dame S. Vve M., 03/05/1984 (demande d’exequatur d’un partage – jugement italien).
[24] CA, B. c/ B., 05/10/1993 (incompétente pour connaître de l’action en rapport de libéralité – par contre, le prix payé par un cohéritier, contrepartie d’un immeuble situé à l’étranger vendu de son vivant par le de cujus, constitue une valeur mobilière de remplacement pouvant faire l’objet d’une action devant la juridiction monégasque) ; TPI, M. c/ M. Vve J., J.-E.M, 09/07/1992 (incompétent pour statuer sur la demande de partage.
[25] Par ex., sphère des personnes appelées à hériter et leur ordre d’appel, représentation successorale, détermination des parts d’héritage, réserve héréditaire, quotité disponible, droits du conjoint survivant, conditions de validité (de forme et de fond) d’un testament.
[26] TPI, L. c/ H., 23/02/1995 ; TPI, Cts M. c/ M., 10/06/1999.
[27] Renvoi opéré par la loi monégasque à la loi nationale du défunt. TPI, M. c/ M. Vve J., J.-E.M, 09/07/1992 ; TPI, Premier ministre de la République turque c/ Dame M.-K., Hoirs R., A., 07/05/1992 ; TPI, L. c/ H., 23/02/1995 ; CA, M. D.V. c/ G.M., 30/05/2000.
[28] CA, 17/04/1972, Administrateur des Domaines et Trésorier Général des Finances c/ Dame R. ès-qualités et Dame de J. (première application jurisprudentielle du renvoi : la notion de loi applicable – belge en l’espèce – intègre non seulement les règles de conflits issues de la législation en vigueur, mais aussi celles dégagées par la jurisprudence) ; TPI, Premier ministre de la République turque c/ Dame M.-K., Hoirs R., A., 07/05/1992 (renvoi partiel du droit turc vers les lois (de situation des actifs mobiliers successoraux) monégasque, suisse, allemande, française) ; CA, M. DV. c/ G.M., 30/05/2000 (renvoi de la loi belge à la loi monégasque).
[29] CA, p. HA. veuve SO c/ Mme f. SO. et Mme n. SO. Épouse RA., 17/06/2014 ; TPI, L. c/ H., 23/02/1995.
[30] CA, p. HA. veuve SO c/ Mme f. SO. et Mme n. SO. Épouse RA, 17/06/2014. Désignation de la loi sud-africaine par testament authentique – Loi monégasque considérée applicable via le renvoi).
[31] TPI, PO c/ WY, 16/01/2014 (choix du défunt de la loi et de la compétence suisses – renvoi exclu en matière juridictionnelle.
[32] Part minimale d’héritage revenant de droit aux héritiers dits réservataires. CA, p. HA. veuve SO c/ Mme f. SO. et Mme n. SO. Épouse RA, 17/06/2014 (rappelant que la réserve héréditaire est d’ordre public – le de cujus, de nationalités belge et sud-africaine, avait désigné la loi sud-africaine qui ignore la réserve héréditaire, contrairement à la loi belge – intention frauduleuse non prouvée).
[33] TPI, L. c/ H., 23/02/1995 (s’agissant des seuls biens situés en Allemagne, le juge n’a pas invalidé les pactes sur succession future prohibés par l’article 985 du Code civil, mais admis par la loi allemande, et a tenu les successions immobilière et mobilière ouvertes en Allemagne « pour définitivement dévolues à leurs légitimes bénéficiaires »).
[34] TPI, Sieur K. c/ Dame B., Dame C., onsorts H., 28/03/1985.
[35] TPI, PO c/ WY, 16/01/2014.
[36] À l’instar des autres règlements européens de droit international privé (sauf « Bruxelles I »). Mais au lieu de définir la notion de résidence habituelle, une nouvelle approche a été adoptée. Le Préambule propose des indices à même de « révéler un lien étroit et stable avec l’État concerné, compte tenu des objectifs spécifiques du Règlement » : les « circonstances de la vie du défunt au cours des années précédant son décès et au moment de son décès » ; « la durée et la régularité de la présence du défunt dans l’État concerné ainsi que les conditions et les raisons de cette présence » (Considérant 23). Un défunt « parti vivre dans un autre État pour y travailler, parfois pendant une longue période […] pourrait être considéré comme ayant toujours sa résidence habituelle dans son État d’origine, dans lequel se trouvait le centre des intérêts de sa vie familiale et sociale ». En cas de vie alternée dans plusieurs États ou de voyage d’un État à un autre sans installation permanente, la nationalité ou le lieu de situation des principaux biens peuvent être des critères d’appréciation (Considérant 24).
[37] Ainsi la Convention franco-monégasque du 21/09/1959 relative à l’aide mutuelle judiciaire.
[38] Conformément à l’article 22 du Règlement. Voir infra, p. 7 (professio juris).
[39] Conformément à l’article 5, l’élection de for n’est possible que si le de cujus a choisi sa loi nationale, et à la seule faveur de l’État membre de nationalité. La juridiction de l’État membre de la résidence habituelle saisie doit dans ce cas impérativement décliner sa compétence (article 6, b).
[40] La juridiction de la résidence habituelle du défunt (article 4) ou de localisation d’une partie des biens (article 10) n’est pas obligée dans ce cas de décliner sa compétence (article 6, a) à la faveur de l’État membre de nationalité.
[41] Remède à une situation de déni de justice, « par exemple en raison d’une guerre civile ou lorsqu’on ne peut raisonnablement attendre d’un bénéficiaire qu’il introduise ou conduise une procédure » dans l’État tiers (Considérant 31).
[42] Le Règlement ne pose pas comme condition que l’État tiers concerné se réserve une compétence exclusive sur les biens en question.
[43] Par ex., un de cujus de nationalité allemande ayant établi sa résidence habituelle en France, décède en Espagne pendant ses vacances, laissant un compte bancaire à Monaco ainsi que des immeubles en France et en Allemagne. Le droit successoral français s’applique en principe à l’ensemble de ses biens.
[44] Le renvoi est impossible entre les États membres du Règlement, dès lors que ce dernier unifie les règles de conflit.
[45] Le renvoi est inapplicable dans cette hypothèse (article 34, § 2).
[46] Ainsi le cas « où, par exemple, le défunt s’était établi dans l’État de sa résidence habituelle relativement peu de temps avant son décès » (considérant 25). Ou encore, le cas d’un défunt détaché par son employeur dans l’État de sa résidence habituelle, qui devait retourner dans son État d’origine au moment où est intervenu son décès. La loi de la résidence habituelle peut ainsi n’avoir qu’un lien incident avec la succession. Par ex., un Français ayant pour raisons professionnelles sa résidence habituelle en Belgique, décède en France où résident son épouse et ses enfants, et où il possède un immeuble et ses comptes bancaires. Les liens plus étroits entretenus par le de cujus avec la France justifieraient l’application de la loi successorale française plutôt que belge.
[47] Le choix de la loi de nationalité exclut les règles de droit international privé. Le renvoi n’est dans cette hypothèse pas applicable (article 34, § 2).
[48] S’il dispose de plusieurs nationalités, le de cujus a le libre choix, la notion de nationalité effective n’entrant pas en ligne de compte.
[49] Le Règlement ne prévoit pas la possibilité de soumettre la succession à des lois différentes, selon la nature mobilière ou immobilière des biens, par recours à la professio juris.
[50] Le choix implicite peut être admis dans le cas d’une « référence à des dispositions spécifiques de la loi de l’État de sa nationalité » ou si celle-ci est mentionnée « d’une autre manière » (Considérant 39), par ex., via la référence à une institution caractéristique de son droit national. La langue de rédaction pourrait aussi constituer un indice.
[51] L’État membre du for peut exceptionnellement ne pas appliquer la loi désignée par le Règlement si, après appréciation in concreto, le résultat s’avérait manifestement incompatible avec son ordre public (par ex., les effets de dispositions discriminatoires fondées sur le sexe, la religion, le caractère légitime de la filiation, la primogéniture.
[52] Voir par ex., l’analyse de l’article 22 d’Andrea Bonomi, in Andrea Bonomi, Patrick Wautelet, Le droit européen des successions, Bruylant, Bruxelles, 2013. La question de la faculté pour le de cujus de déshériter ses enfants a fait l’objet de nombreux commentaires.